Cet article a pour objectif de proposer une vision globale, documentée et non folklorisée des traditions de tatouage pratiquées par les peuples Malagasy avant leur disparition progressive au XXᵉ siècle.
Cet article a pour objectif de proposer une vision globale, documentée et non folklorisée des traditions de tatouage pratiquées par les peuples Malagasy avant leur disparition progressive au XXᵉ siècle.
”People of Madagascar“ Masy
Tout au long de cet article, j’emploierai volontairement le terme Malagasy plutôt que malgache, afin d’éviter une terminologie héritée du regard colonial et de rester au plus près des réalités culturelles locales.
Afin de rendre ces informations complexes plus accessibles, j’ai choisi de structurer cet article en quatre parties, comme dans la vidéo associée :
Par qui
Quoi
Pourquoi
Comment
1. PAR QUI ?
L’essentiel des connaissances actuelles sur les tatouages traditionnels de Madagascar provient du travail du chercheur et ethnographe Raymond Decary (1891–1967).
Raymond Decary
Entre les années 1930 et 1950, Decary a mené une enquête de terrain de très grande ampleur à travers Madagascar, à une période charnière où ces pratiques étaient encore visibles, mais déjà en recul rapide.
Son travail repose sur :
l’observation directe de plusieurs milliers d’individus,
la copie minutieuse de plus de 900 tatouages,
des entretiens avec les personnes tatouées,
et la comparaison des motifs entre régions et groupes ethnolinguistiques.
Il a documenté notamment les pratiques des peuples :
Antandroy
Makua (Masumbika)
Sakalava
Mahafaly
Antanosy (Antanusi)
Bara
Tanala
Ses travaux constituent aujourd’hui la source ethnographique la plus complète sur le tatouage Malagasy précolonial et proto-colonial.
2. QUOI ? (De quoi s’agit-il ?)
Il s’agit de la tradition du tatouage Malagasy, appelée selon les régions
tumbukalana / tombokalana, littéralement « marquage du corps ».
Pendant des siècles, différentes communautés de l’île ont développé des systèmes de tatouage :
fortement codifiés,
régionaux,
souvent genrés,
et liés à des représentations cosmiques, sociales, sexuelles ou magiques
Sketch by William Ellis
Contrairement à une vision uniforme, il n’existe pas un tatouage Malagasy, mais une multiplicité de traditions locales, parmi lesquelles :
Makua (côte Ouest)
Tatouages très riches, surtout chez les femmes
Motifs :
lignes droites ou courbes sur le visage,
figures anguleuses,
colliers tatoués (rutso) sur la poitrine,
roues solaires (masoandro),
figures humaines stylisées (undaté),
animaux (bœuf, crocodile).
Grande liberté de composition et forte asymétrie.
Sakalava (Ouest et Sud-Ouest)
Tatouages majoritairement féminins
Motifs fréquents :
lignes simples ou doubles sur le front,
demi-cercles au-dessus des yeux,
points en lignes ou en arcs,
croix bouclées (renambi),
svastikas (tanan’ambua fulaka),
roues solaires.
Certains motifs portent des noms précis et relèvent d’une symbolique ancienne fortement liée à la divination (sikili).
Mahafaly et Antandroy (Sud et Extrême-Sud)
Motifs souvent plus géométriques et structurés
Croix bouclées très fréquentes
Tatouages du visage, du dos, de la poitrine et surtout des reins
Apparition importante de tatouages érotiques, assumés
Tatouages servant aussi de protection et de marque de statut sexuel ou conjugal
Chez les Antandroy : inscriptions de noms de maris et d’amants sur les bras, transformant le corps en véritable archive biographique.
Antanosy (Sud-Est)
Tatouages complexes et esthétiquement très élaborés, surtout chez les femmes
Motifs :
lignes en V,
croix bouclées et cloisonnées,
formes rappelant rizières, maisons, paniers
Développement important des tatouages sur la poitrine et les cuisses
Tanala (Est forestier)
Tradition singulière, différente de celle de l’Ouest
Tatouages essentiellement linéaires :
séries de lignes parallèles,
chevrons,
formes en V emboîtés
Tatouages féminins généralisés
Certains motifs ont une fonction magique explicite, notamment pour protéger les femmes contre la violence conjugale.
3. POURQUOI ? (À quoi servaient ces tatouages ?)
Lorsqu’on interroge les Malagasy au début du XXᵉ siècle sur la signification de leurs tatouages, la réponse est presque toujours la même :
« Ce sont des ornements. Ce sont nos bijoux dans la peau. »
Mais l’analyse comparative menée par Raymond Decary montre que cette réponse masque une réalité plus ancienne.
À l’origine, le tatouage Malagasy relève de :
la magie protectrice
la médecine préventive
la divination (sikili)
l’identité sexuelle et conjugale
l’inscription sociale du corps
Si une partie de ces significations s’est perdue avec le temps, certaines ont subsisté, parfois très clairement identifiées par les personnes elles-mêmes.
Les figures ci-dessous illustrent ces fonctions conservées ou attestées.
Fig. 230–231 / 237 — Tanala Mandrarafiuka → protection magique contre la violence conjugale
Fig. 224–225 — Tanala Tatouages des reins → érotisme féminin
Ci-dessous, vous trouverez une liste synthétique des figures, de leurs significations et des références iconographiques que j’ai pu rassembler à travers cet article et mes recherches.
Ces références peuvent servir de base de travail, d’inspiration ou de réinterprétation pour vos futurs projets de tatouage, dans une démarche respectueuse des héritages culturels Malagasy
4. COMMENT ? (Méthode et technique)
La technique de tatouage est remarquablement homogène sur l’ensemble de l’île de Madagascar, avec de légères variations selon les régions et les plantes disponibles.
Morelle noire
Étapes générales
Le motif est d’abord dessiné sur la peau à l’aide d’un mélange d’eau et de suie, servant de pochoir /stencil.
Le tatoueur utilise ensuite trois ou quatre épines ou aiguilles végétales, le plus souvent des épines de cactus, pour piquer la peau rapidement et de façon répétée.
Le sang est essuyé régulièrement au cours de l’opération.
Un pigment est ensuite frotté dans les micro-plaies, généralement composé de :
charbon de maïs brûlé et pilé,
jus de morelle noire,
indigo,
ou d’autres plantes tinctoriales locales selon la région.
Après cicatrisation, la couleur apparaît :
d’abord noire et intense,
puis progressivement plus bleutée avec le temps.
Un tatouage bien exécuté pouvait durer toute une vie, en pâlissant très peu.
À propos de l’usage du cactus
épine de cactus
L’emploi fréquent des épines de cactus n’est pas anodin. Dans le Sud et l’Extrême-Sud de l’île, notamment chez les Antandroy, le paysage est dominé par les haies de cactus, qui structurent à la fois le territoire et le quotidien.
Le terme Antandroy est d’ailleurs couramment associé au « pays des épines » ou au « pays des cactus », faisant de cette plante un élément à la fois environnemental, culturel et symbolique. Son usage comme outil de tatouage s’inscrit ainsi dans une logique de continuité entre le corps, le territoire et les matériaux du vivant.
Pour aller plus loin, cliquez sur le bouton « lien vidéo » en bas de page afin de découvrir le reel Instagram que j’ai réalisé autour de ces recherches.